Actualité de Mandelbrot pour l’épistémologie et la pratique des sciences sociales

Colloque organisé par Valérie Charolles et Christian Walter

LAP (EHESS & CNRS)

12 décembre 2024

Lieu : EHESS, 54 Boulevard Raspail, Paris 6. Salle B1-01

 

Problématique

 

L’un des apports conceptuels majeurs de Benoît Mandelbrot pour les sciences sociales est la notion d’états du hasard. Mandelbrot en a introduit trois qu’il a nommés sage, sauvage et lent. De la même manière que les états de la matière différent de façon très nette, comme la molécule d’eau à l’état solide, liquide ou gazeux, les états du hasard produisent des développements des faits très contrastés dans le temps et dans leur forme. Les hasards sage et sauvage diffèrent l’un de l’autre autant que la vapeur d’eau diffère de la glace. Les fractales offrent une description unifiée cohérente et simple de ces différentes morphologies de l’aléa.

Au-delà de la séparation historique entre culture et nature, Mandelbrot applique la notion d’états du hasard aussi bien aux faits physiques qu’aux faits sociaux. La dimension fractale qui mesure l’irrégularité d’un processus aléatoire se retrouve aussi bien dans les crues du Nil que dans la mémoire longue des marchés boursiers. Les va-et-vient opérés par Mandelbrot dans ses travaux entre les faits sociaux et les faits physiques ne sont pas sans évoquer la démarche de Marx dans les Manuscrits de 1844 ou Manuscrits économico-philosophiques, pour chercher à dépasser la rupture de l’unité constitutionnelle entre l’humanité et le monde physique. Ils rejoignent un thème décisif dans le cadre des enjeux écologiques actuels.

La trace repérable d’une morphologie fractale est la présence de l’inégalité bien connue dans les distributions (de richesse, d’eau sur Terre, de ventes de livres, de masse galactique etc.) selon laquelle très peu ont beaucoup et beaucoup ont très peu. C’est le principe communément appelé « loi des 80/20 » (20 % des individus possèdent 80 % de la richesse totale etc.). Cette loi des 80/20 se retrouve aussi dans le déroulé temporel d’un phénomène, par exemple 1% des jours de tempête produit une beaucoup plus grande part des chutes de d’eau de pluie, 1% des jours de bourse produit une proportion bien plus élevée des gains ou des pertes de l’année… Les fractales permettent ainsi de rendre compte de la relation étroite entre discontinuité, concentration et risque autour de deux caractéristiques morphologiques importantes : l’irrégularité à toutes les échelles d’observation, et la présence de lois de changement d’échelle.

L’approche fractale définie par Mandelbrot lui permet d’alerter très tôt sur les dangers de la pratique financière fondée sur une théorie néoclassique qui s’appuie sur une modélisation du monde économique qui ignore l’irrégularité et les crises en réduisant le risque à une amplitude moyenne des fluctuations, encourageant ainsi une hubris de la finance. Pourquoi cette approche n’a-t-elle pas été prise en compte par les chercheurs en finance et les acteurs des marchés financiers depuis les années 1960 jusque dans les dernières décennies du vingtième siècle ? Pourquoi cette approche peine-t-elle encore aujourd’hui à être entendue ?

Ce colloque reviendra aux sources de la rupture paradigmatique opérée par Mandelbrot pour en apprécier la portée dans l’analyse du contemporain.

L’objectif de ce colloque est, à l’occasion du centenaire de la naissance de Benoît Mandelbrot, de revenir sur la portée de ses travaux pour les sciences sociales, dans leur diversité mais aussi dans leur ensemble. Pour comprendre les natures, il est intéressant de sonder les genèses. Ce colloque reviendra ainsi sur l’effervescence des années 1950-1960 qu’illustre la période française de Mandelbrot où les débats entre sciences humaines et nouvelles formes mathématiques sont multiples.

L’enjeu en sera de faire ressortir les apports de Mandelbrot pour une épistémologie critique renouvelée dans les sciences humaines et sociales, laissant place aux irrégularités, imprévisibilités et phénomènes d’échelle au sein de groupes mais aussi, et surtout, dans le temps.

 

Programme

9h-9h30 : Accueil café

9h30-9h45. Valérie Charolles et Christian Walter

• Introduction. Présentation de la journée

9h45-10h15. Emmanuel Picavet et Christian Walter

• Retour sur les deux journées de colloque sur Mandelbrot et les mathématiques de la finance les 10 et 11 décembre

Séquence 1. Les passages entre mathématiques et sciences sociales : l’effervescence des années 1950

Président de séance : Jean Dhombres (CNRS)

10h15-10h45. Ronan Le Roux (Université Paris-Est Créteil, LIS)

• Mandelbrot et la cybernétique (1948-1952) : une marche pas complètement aléatoire dans les anfractuosités interdisciplinaires

10h45-11h15. Marc Bertin et Thierry Lafouge (Université Claude Bernard Lyon 1)

• Autour de la loi de Zipf

11h15-11h30 : Pause-café

11h30-12h00. Discussion

Séquence 2. Redécouvrir les écrits en français de Mandelbrot : la genèse de la théorie des fractales.

Président de séance : Jean Dhombres (CNRS)

11h30-12h00. Christian Walter (EHESS, LAP)

• Relecture de « Sur l’épistémologie du hasard dans les sciences sociales » (1967)

12h00-12h30. Discussion

12h30-14h15 : Déjeuner (EHESS)

Séquence 3. Formes du temps et des faits. Discussion autour des concepts de discontinuité, de concentration, de risque

Président de séance : Emmanuel Picavet (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne)

14h15-14h45. Valérie Charolles (EHESS, LAP)

• Mandelbrot critique de la vision gaussienne du monde, un appui pour les SHS ?

14h45-15h15. Olivier Bonin (Université Gustave Eiffel, LVMT)

• Géométrie fractale et analyse multifractale pour les villes : comment rendre les villes plus en phase avec les enjeux d’aujourd’hui ?

15h15-16h00. Stéphane Jaffard (Université Paris-Est Créteil, LAMA)

• Le temps s’écoule comme une cascade : une des intuitions révolutionnaires de Benoît Mandelbrot

16h-17h. Discussion générale animée par Valérie Charolles et Christian Walter

17h. Clôture de la journée en présence de Martin Lamotte, directeur du LAP (2025-2029).

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