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Films et société

Un parti pris méthodologique que j’ai adopté dans mes enseignements (cours et conférences) est – quand c’est possible – de passer par le cinéma pour aider les étudiants ou le public à “voir” par l’image ce qui sera ensuite explicité par la réflexion. Voir un film est l’occasion de débats entre les spectateurs, qui font émerger des notions intéressantes, comme une propédeutique au thème abordé par le film.

L’une de mes convictions est que le cinéma est un moyen privilégié de « voir ce qui est visible » selon l’expression de Wittgenstein dans sa seconde philosophie, c’est-à-dire de nous donner accès à ce qui est « là » mais qui nous échappe. Une manière de saisir ce qui est devant nous, en nous, mais que nous ne voyons pas. Ma conviction s’inscrit dans le sillage d’une école de pensée sur le cinéma ouverte par le philosophe américain Stanley Cavell (1926-2018).

Cinéma et éthique

 

Quelle morale ? Dans Le cinéma nous rend-il meilleur ? (Bayard, 2003), Stanley Cavell considère que le cinéma introduit à une morale de la vie ordinaire. C’est une morale qui n’est pas faite d’obligations qui semblent tomber d’un mystérieux ciel des valeurs ou de normes du « bien », mais qui part de la personne telle qu’elle est, une morale proche d’une fidélité à qui l’on est. C’est une morale qui se veut proche de notre capacité de conversion quand nous sommes en interaction avec les autres. Ainsi le cinéma favorise une « éducation morale », une fonction du cinéma que le philosophe Hugo Clémot a joliment qualifiée de Cinéthique (Vrin, 2018, recension sur ce blog ICI).

Tout le monde éprouve le risque du non-sens dans sa vie, un risque en fait inhérent à notre condition humaine. Il arrive que ce non-sens devienne envahissant, et conduise à un scepticisme généralisé sur l’existence. Par exemple la théorie introduite par Nassim Taleb, dite du “cygne noir”, est la trace de ce scepticisme sur nos capacités à affronter l’incertitude (sur ce blog ICI).Quel que soit leur genre (grand public, policier, espionnage, science-fiction, comédie, tragédie, classique, art et essai etc.), les films posent des questions philosophiques qui concernent notre vie de tous les jours, notre vie ordinaire en nous aidant à reconnaître notre scepticisme face à la vie pour apprendre à le dépasser. Le cinéma peut nous aider à vaincre ce scepticisme car les images des films expriment nos difficultés à être les auteurs de nos vies, comme l’a analysé Élise Domenach dans Stanley Cavell, le cinéma et le scepticisme (PUF, 2011).

 

Image de l’argent au cinéma

• Du point de vue présenté plus haut, les films sur la finance sont des outils pédagogiques pour saisir intuitivement des choses importantes sur l’argent, les représentations du hasard, les modèles mathématiques de risque et les enjeux de la rationalité. Le film devient un outil pédagogique dans l’enseignement de l’éthique en finance, les images produisant des émotions et suscitant des débats. Des extraits de films commentés accompagnent ainsi les réflexions plus “techniques” sur ces notions.

  Aujourd’hui, qui ne s’est pas trouvé confronté au problème de l’argent ? Quoi de plus emblématiquement énigmatique et éthiquement problématique, avec tout son cortège d’émotions positives ou négatives, que la question de l’argent, dans une société où se mélangent grande richesse et grande pauvreté, inégalités extrêmes et injustice sociale etc. Le cinéma pourrait-il nous aider à redéfinir notre rapport à l’argent ? A opérer une conversion sur l’argent ?

  Le cinéma peut-il nous dire quelque chose sur l’argent ? Et nous le dire autrement que les innombrables romans ou livres qui traitent déjà de ce thème, ou encore les savants travaux de la philosophie de l’argent, sans parler des discours sans fin des religions ou des morales laïques ? On fait le pari de donner à cette question une réponse positive.

  Comme l’indique la présentation du livre de Constantin Parvulescu, Global Finance on Screen. From Wall Street to Side Street (Routledge, 2018) l’analyse des films sur la finance “révèle et évalue la capacité du cinéma à documenter les cultures financières, à refléter les transformations économiques, culturelles et politiques liées à la financiarisation, à indiquer les conséquences aliénantes et exploitantes du rôle croissant joué par les services financiers dans l’économie mondiale, à mobiliser l’action sociale contre les excès de la finance, ainsi qu’à diffuser la finance et la mythologie capitaliste”.

  Le cycle de projection “Cinéma et argent” organisé au théâtre de la Reine Blanche est l’occasion de voir un film sur l’argent et de débattre ensuite de ces questions. Voir la page Ciné-Money

  

  Films and society

  A methodological approach that I have adopted in my teaching (courses and conferences) is – when possible – to use the cinema to enable students or the general public to ‘see’ through pictures what will then be clarified through analysis. Seeing a film provides an excellent opportunity for debate among the audience, which brings out interesting notions, as a preliminary to the theme addressed by the film.

  One of my main convictions is that cinema is a unique way of “seeing what is visible”, as Wittgenstein put it in his Second Philosophy, i.e. of giving us access to what is “there” but which evades us. A way of grasping what is in front of us, inside us, but which we do not see. My belief is in line with a school of thought on cinema initiated by the American philosopher Stanley Cavell (1926-2018)

  Cinema and Ethics

  Some images or scenes in the films reach out to us. We don’t really know why. But we are affected. Either by an attraction or a repulsion. The American philosopher Cora Diamond has theorised that images can carry ethical thought, often better than argumentative reflections, because they hit a sub-rational level, hidden by reason. Cinema is a unique place where we can see images. The film can thus affect us directly. The fact of being hit by the images produces a change in ourselves, a moral transformation of ourselves.

  In Le cinéma nous rend-il meilleur? (Bayard, 2003), Stanley Cavell considers that cinema introduces a moral to ordinary life. It is a moral that is not made up of obligations that seem to fall from a magical heaven of values or norms of the ‘good’, but which begins with the person as he or she is: a moral that is close to a fidelity to who one is. It is a morality that is close to our capacity for conversion when we interact with others. How can we encourage this conversion? Through the cinema. For Cavell, cinema is a tool for moral transformation of the self. The cinema can help in the moral transformation of oneself through the direct understanding (thanks to the image) of ideas developed elsewhere in technical reflection.

  Thus cinema promotes a “moral education”, a feature of cinema that the philosopher Hugo Clémot has nicely described as Cinéthique (Vrin, 2018, interview HERE and review on this blog HERE).

  Everyone experiences the risk of meaninglessness in their lives, a risk that is in fact inherent to our human condition. Sometimes this nonsense becomes pervasive, leading to a general scepticism about existence. In finance, the theory introduced by Nassim Taleb, known as the “black swan” theory, is the trace of this scepticism about our capacity to face uncertainty (on this blog HERE).

  Whatever their kind (mainstream, detective, espionage, science fiction, drama, comedy, tragedy, classical, art house, etc.), films raise philosophical issues that concern our everyday life, our ordinary life, helping us to recognise our scepticism about life and to learn to overcome it. Cinema can help us to overcome this scepticism because the images in films reflect our difficulties in being the authors of our lives, as analysed by Élise Domenach in Stanley Cavell, le cinéma et le scepticisme (PUF, 2011).

  Finance through films

  From this point of view, finance films are pedagogical tools to intuitively grasp important issues about money, representations of chance, mathematical models of risk and the challenges of rationality. The film itself becomes a pedagogical tool in the teaching of ethics in finance, as the images produce emotions and provoke debate. Film fragments with commentary are used to accompany the more “technical” considerations on these concepts.

  Today, who has not been facing the problem of money? What could be more emblematically enigmatic and ethically difficult, with all its positive or negative emotions, than the issue of money, in a society where great wealth and great poverty, extreme inequality and social injustice, etc. are intertwined? Could cinema help us change our attitude to money? To effect a transformation about money?

  Can the cinema reveal something about money? And can it explain it in a different way than the myriad of novels and books that already deal with this topic, or the scholarly works of the philosophy of money, not to mention the endless arguments of religions or the secular morals? We challenge this question to a positive answer.

  As stated in the presentation of Constantin Parvulescu’s book, Global Finance on Screen. From Wall Street to Side Street (Routledge, 2018) the analysis of finance films “reveal and evaluate the ability of film to document financial cultures; reflect economic, cultural and political transformations related to financialization; indicate the alienating and exploitative consequences of the growing role played by financial services in the global economy; mobilize social action against finance’s excesses; as well as spread finance and capitalist mythology”.

  In this sense, finance films can be considered as teaching tools.

  The “Cinema and Money” series at the Théâtre de la Reine Blanche is an opportunity to see a money-related film and discuss the issues involved afterwards. See the page Cine-Money